Il vit à Paris. Une merveilleuse soirée s’annonce : je vais écrire. La pluie qui tombe est une chance supplémentaire. Je l’écoute, calme, posté devant la fenêtre de mon bureau. Aux premières volutes de ma cigarette, des mots me viennent, subreptices, promesse d’encre noire sur papier blanc. Je les laisse vagabonder, voleter autour de moi, je ne suis pas pressé. Je me sens invincible et pour peu je passerais une chemise blanche.
Je tergiverse encore avant de me mettre au travail. J’entreprends de revisiter ma bibliothèque, un alignement de dos de livres où sont imprimés des titres et des noms d’auteurs chéris. J’en réveille un, presque au hasard. Toi, viens par ici. J’en lis quelques pages, pour la musique. Ensuite, je regarde mes objets familiers : une fiole de sable jordanien, une boîte d’Afrique du Sud où se dissimule un très dangereux reptile, une statuette en albâtre achetée au marché londonien de Camden… Et je m’assois enfin à ma table après avoir glissé un compact-disc dans le lecteur.
Devant la page blanche, en l’occurrence, un écran d’ordinateur, je devine ma bouche bée ou en cul-de-poule : j’attends, au moins dix doigts prêts à attaquer le clavier. A se prolonger, cette attente me déstabilise. La fébrilité et le doute me gagnent, mon estomac se noue, la pluie cesse. Eh ! Oh ! me dis-je, vas-y… Doucement, me réponds-je. Un klaxon retentit dans la rue et c’est bientôt le concert tonitruant qui me déconcentre. J’en ai marre. J’habite un carrefour. J’avais oublié. Je songe à mon éditeur ; aussitôt la paralysie m’atteint. Je me demande ce qu’il pense vraiment de moi. Je ne suis pas Gavalda, ni Holder ou Page. Evidemment non ! dirait-il… Tiens ! une sirène de police. Le Samu, peut-être, et à l’idée de l’hôpital, je réussis à taper un mot, une phrase, un paragraphe.
Je travaille depuis plus de deux heures, moins de trois. Je me relis. Hum ! Pas si mal ! J’ai grillé dix ou quinze cigarettes. Je ne devrais pas fumer ainsi. Je pense à ma petite fille adorée. Il faut arrêter de fumer. J’imprime. Je lis encore une fois. Je déprime. J’allume une cigarette.
A minuit, je me surprends à feuilleter la monographie d’un peintre tandis que des fêtards hurlent dans la rue. Je suis fatigué. Je suis vieux. Je me traîne jusqu’à la cuisine pour me servir un petit whisky. Je suis seul au monde. Qui m’aime sur cette foutue planète ? L’horloge digitale du magnétoscope indique minuit et demi. Je décide de me rendre dans un bar d’Oberkampf, à cinq minutes de chez moi.
Au Charbon, personne ne m’adresse la parole. Tant mieux. Tant pis. J’avale ma bière. Je vais rentrer, demain c’est école, métro, boulot. Sur le trottoir du retour, soudain me vient : Ma vie ressemblait alors à un tableau d’Edward Hopper…
Et si j’en faisais le début d’un roman ?