Nouvelles du front
La terrasse du Rugby bar, à Nîmes (30)
Comme boire des coups en terrasse est devenu un acte de résistance, moi, banal pratiquant du perniflard sur voie publique, ai été promu, par la grâce patriotique, au grade de commando de bistro. Et comme le carnet de guerre est un genre littéraire majeur, m’est venue alors l’idée d’en écrire un. Ma prose, toutefois, se contentera de décrire de petites zones de combat, entre zinc et trottoir, pour y signaler, malgré les pertes en des termes de lucidité, les admirables conquêtes de la liberté.
La bataille que je vais relater a été livrée dans un rade tout ce qu’il y a de correct où j’aime à pictonner. Le Rugby bar – c’est son blaze – est un estaminet nîmois charmant, bigarré et cosmopolite, où la clille, rabouine, marocaine et de souche, s’entend à merveille telle en une joyeuse nef des fous dérivant sur une mer de rosé, de blanc limé et de pastaga épais comme du flan aux œufs.
Déboule K., après un long exil. La société des buveurs s’enquiert de son absence : aurait-il été travailler ? Non, rassure-t-il, il n’a fait qu’un peu de prison. Ayant tranquillisé son monde, voilà qu’il entreprend de narrer son aventure…
Attrapé par la maison bourreman au débotté et à six heures du matin, K. est inculpé pour avoir braqué une riche bourgeoise et lui avoir un peu chauffé les ripatons à l’allume-gaz, histoire d’obtenir la carte bleue. La rombière certifie que le malandrin lui roustissant les paturons portait un bas de nylon sur la trombine. Or les schmitts exhibent au tribunal un collant, découvert en contrebas de la demeure. Et l’analyse ADN de traces de salive à hauteur de la jarretière prouve que c’est bien le pauvre K. qui a bavouillé dans le nylon !
On n’a pas idée du génie des petits hommes… K. ne se dégonfle pas, tend un index accusateur vers la bourgeoise et annonce d’une voix de stentor qu’il a des révélations importantes sur la plaignante et sa moralité. Tout le monde, dit-il, la croit honnête bijoutière. Or elle est commerçante, certes, mais de ses charmes, et terrible croqueuse de gigolos. Et K., dernier amant en date, a été réquisitionné pour sa connaissance des langues et son habileté à en jouer. Ainsi s’expliquent, par le vice de madame, les reliquats salivaires sur le haut du bas nylon.
à cette annonce, la foule en liesse applaudit à tout rompre. Le président apprécie modérément et offre à K. quelques vacances à l’ombre.
Nous apprendrons plus tard que K est en fait tombé pour une misérable affaire d’ébriété sur la voie publique après que sa femme l’eût quitté pour un vendeur de lingerie.
Le mois prochain, si la cirrhose nous prête vie, nous irons boire en une autre terrasse pour y défendre tout ce que déteste Daesh : être fragile en amour, s’autoriser le rêve à voix haute, s’enivrer de mots et de compagnie humaine pour conjurer la tristesse.
Guyard