Ce sera Le Dilettante ou rien. La faute à Ravalec et aux petits angelots égayant la couverture d’un Pur moment de rock’n roll, placés là pour rappeler que paradis et littérature peuvent faire bon ménage. Une fois l’adresse notée avec soin, le plus dur attend l’écrivain en herbe : amadouer le portier, un saint Pierre bougon et volontairement désagréable, chargé avant tout de décourager les vocations naissantes.
N’entre pas qui veut dans « ce saint des saints », surtout quand le message affiché au frontispice rappelle au visiteur, trop pressé ou trop sûr de lui, que notre cerbère « ne se fie qu’aux impulsions de ses goûts ».
Quand l’idée fixe vous taraude et que devenir écrivain tourne à l’obsession, mieux vaut prendre son temps. Treize ans à contempler les boîtes de sardines, libellule ou trapéziste-barbie ornant les couvertures ; treize ans à se bercer de titres aussi intrigants qu’alléchants – Vol de sucettes et Recel de bâtons ou Plaisir d’offrir, joie de recevoir avant d’oser pousser la porte vitrée et déposer sur le comptoir, avec discrétion et délicatesse, le manuscrit, sésame du grand rêve.
Les affres de l’attente sont trop banales pour être évoquées, le chemin de croix menant au Graal plus original et plus instructif.
Un premier appel téléphonique de saint Pierre – histoire de tâter le terrain avant la béatification – mêle, avec habileté, chaud et froid et laisse perplexe :
– Ce n’est pas mal, il y a quelques bonnes choses mais au cas où… Il faudra beaucoup retravailler. Je réfléchis et vous rappelle.
La première rencontre, à l’image du détenteur des clés, est insolite. Une caserne de pompiers, un soir d’automne, où perdu au milieu d’une foule de pique-assiettes mal élevés, il faut, dans un brouhaha décourageant et une indifférence générale, identifier le maître de cérémonie.
Aussi avare de ses deniers que de ses paroles, notre juge plénipotentiaire préfère les silences loquaces aux longues déclarations. L’impétrant est mal à l’aise, attendant, anxieux, la sentence qui lui ouvrira la porte céleste. Intérieurement, notre bon pasteur jubile :
– Bon, je vous le prends mais ne m’harcelez pas, c’est moi qui vous recontacte.
Pas le temps de remercier mon bienfaiteur, il m’a déjà tourné le dos, absorbé par d’autres bouches affamées.
Les jours s’égrènent, sans nouvelle, ni fumée blanche. Aurais-je rêvé ? Le doute s’insinue. A la relecture, saint Pierre aurait-il changé d’idée et m’aurait-il renvoyé au Purgatoire réécrire ma copie ? La Toussaint approche, je surveille le calendrier. Les voix du ciel sont impénétrables, le téléphone sonne enfin. J’aurais dû m’en douter, le possesseur des clés du paradis ne travaille bien que le dimanche et au domicile des auteurs en devenir.
Tout en surveillant la cuisson du poulet dominical, je guette, angoissé, l’arrivée de mon futur éditeur. Une fourgonnette commerciale poussive, ornée d’un chat noir, monte la côte ; probablement le vétérinaire venu soulager l’animal de compagnie du voisin. Tout faux. C’est le bon pasteur accompagné de Pepita, la petite chienne de la princesse du royaume, qui s’extrait de ce véhicule de fonction. Ses allures de dandy et sa démarche nonchalante tiennent davantage du rat des villes que du rat des champs.
Le silence retrouve son éloquence. Les mouches bourdonnent. Le malaise reprend ses droits. Le bruit des mâchoires sur les pilons tient lieu de conversation. Reste à s’attaquer au vrai plat de résistance : mon manuscrit.
Saint Pierre est obstétricien littéraire, l’accouchement d’un livre sa vraie passion, la traque des adverbes inutiles et du verbe « faire » son obsession. La parturition s’effectue à l’ancienne, sur place, à même la table de la salle à manger.
Le maître est intraitable, l’élève docile. Il serait mal venu et indécent de contrarier son bienfaiteur. La pendule s’affole, les heures s’enchaînent, harassantes. Le tapuscrit perd des pages, les clichés s’éclipsent, le livre prend forme. Le point final est validé. Deux heures du matin, l’éditeur, content de lui, s’étire. Il est temps d’emmener pisser dans le jardin Pepita, témoin silencieux de mon entrée au paradis. Les désillusions peuvent commencer.
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*Les supports de rêve sont des appuis-tête qui accompagnent les Africains dans leurs périples quotidiens à travers la brousse. A l’heure de la sieste, il apporte le confort indispensable à de beaux rêves.