Cher Fred,
J’espère que ce courrier te trouvera en bonne forme… quant à moi je ne peux pas me plaindre, je suis encore en vie.
Aujourd’hui est un triste anniversaire puisqu’il marque ma vingt-neuvième année dans ce trou à rats, soit largement plus de la moitié de mon existence à croupir derrière les barreaux d’une cage de sept mètres carrés. J’ai connu des dates plus réjouissantes !
Mon avocate est passée ce matin, en coup de vent. Des documents à signer, comme d’hab’, des papiers regorgeant de mots savants et qui viendront s’ajouter à des kilogrammes d’autres documents sensés, au bout du compte — pour peu que le juge chargé du dossier n’ait pas une digestion trop difficile, ce jour-là —, commuer ma peine de mort en prison à perpétuité.
L’espoir fait vivre, hein ?
Comment vas-tu ?
Si ma mémoire ne me trahit pas, ton second roman sera en librairie lorsque tu recevras cette lettre. Je croise les doigts et j’espère surtout que ce bouquin sera traduit en anglais, lui, que je puisse te lire enfin.)
Merci pour les photos, elles sont splendides et ont rejoint le mur gris, minuscules fenêtres ouvrant sur un ailleurs, un peu d’air frais.
J’ai à présent ton chalet en quatre exemplaires, à chaque saison, les images hivernales étant, je crois, mes préférées. Tout ce blanc, mec ! Et cette lumière incroyable ! Pour ma part — ne te moque pas —, je n’ai jamais vu la neige ailleurs qu’à la télévision…
Pas de nouvelles de Brian ni même d’Aymée, mon petit ange, mon trésor. Aucun n’a pris la peine de répondre à mes SOS. Ils ont honte. Je les encombre. Leur père n’existe plus. Et sans doute que je mourrai sans même connaître le nom de mes petits-enfants…
Ça me rend triste, putain, et je préfère ne pas trop y penser car je serais capable du pire, alors, du pire.
Veux-tu connaître le dernier jeu à la mode chez nos amis matons ?
Ces enfoirés font circuler une rumeur puis nous observent d’un œil rieur gigoter dans la cour, pareil à des animaux de laboratoire, de très petites souris aux yeux rouges. Des bagarres éclatent avec la violence d’un orage, des gars se font crever la paillasse et restent sur le carreau comme ce pauvre bougre d’Alvaro Sanchez, un simplet de 19 ans.
Ils prennent un temps infini, les surveillants, pour intervenir, et puis c’est un moyen plutôt marrant de se débarrasser de la vermine à peu de frais. Les économies, ça plait aux électeurs et Jeb Bush assure ainsi sa ré-élection au poste de gouverneur pendant que son président de frangin, grand seigneur, gracie devant les caméras de CNN et de Fox News une dinde ou deux pour Thanksgiving…
Le monde est un drôle d’endroit, non ?
L’extinction des feux approche et je dois te laisser, mon ami, envoie très vite de tes nouvelles et prends bien soin de toi et de tous ceux chers à ton cœur.
Ton pote
Bill