Résumé :
Nom : Guyard ; prénom : Alain ; vocation : Socrate des parloirs, Bergson des centrales. Si Hammett, comme l’a écrit Chandler, a ôté le polar de son vase vénitien pour le jeter dans la rue, Guyard, lui, a extrait l’art de philosopher des hauteurs sacrées de la chaire pour le fourrer en tôle, soumettre la dialectique à l’écoute des incarcérés. La chose n’est d’évidence pas fort aisée ; en témoigne son précédent opus, La Zonzon ou les soubresautantes avanies du philosophe Lazare Vilain, parti philosopher entre quatre murs, et ce qu’il en advint. Mais initier à l’art du concept les écroués, s’il se fonde sur le talent de l’orateur, se doit aussi d’en passer par l’art du manuel, d’où ces 33 leçons que publie le Dilettante. Partant du constat que " l’histoire de la philosophie ressemble plus à une cour des Miracles qu’à un court de tennis", Guyard narre l’histoire de la métaphysique comme elle doit l’être : avec l’encre des faits divers, éclairant les aventures du concept à la lumière des réverbères. Socrate se fait " philosophe de comptoir", Épicure écope de l’étiquette demi-sel, Ockham joue du rasoir dans les contre-allées de la théologie, Machiavel vire au serial killer, Descartes au mercenaire ; quant à Spinoza, c’est carrément " Ramdam à Amsterdam". Cossery, " dernier des pharaons", ferme cette " parade sauvage ". Sont joints à ces coruscantes méditations canailles des travaux pratiques, utiles pour l’évaluation des sujets. 33 leçons pour rendre à la philosophie, aujourd’hui si populaire mais si inoffensive, son maquis et sa bonne odeur de poudre, de fer chauffé à blanc, et de vin rouge.
On en parle :
Lascar Academy
Une véritable rafle ! Ils ont bonne mine, ces augustes penseurs alignés contre le mur, pour trafic de concepts et gamberge en bande organisée. Car " l’histoire de la philosophie ressemble plus a une cour des Miracles qu’a un court de tennis", surtout racontée dans la langue argotique de Simenon ou de Coluche. C’est sérieusement qu’Alain Guyard déconne. Car ce "philosophe forain", comme il se définit lui-même, connaît ses auteurs et ses textes dans les coins et recoins.
Ses conseils de lecture, les angles surprenants qu’il trouve à propos de doctrines rebattues nous délivrent de la philosophie en tisane. Après tout, " les premières retranscriptions des" dialogues socratiques "ne sont nen d’autre que des conversations de parloir ". Propos d’orfèvre: éducateur de prison, l’auteur a eu enseigné la philo a des "lascars" moins concernés par le bac que par la BAC (brigade anti-criminalité). II en a gardé un langage viril pour évoquer "le geste fondateur et absolument couillu de Descartes". Hegel et sa dialectique? "Sous sa plume fiévreuse, tout s’enquille idéalement" "L’éthique " de Spinoza, il faut la lire "avec le soin et la lenteur d’un fumeur de cigare sur un baril de poudre " Voyez à la leçon n°30 comment le tandem Deleuze-Foucault, "les Tif et Tondu de la philo 68", ringardisent en beauté le vieux Sartre, "dépassé par la nouvelle génération de déconneurs". À ce banquet mafieux s’invitent quelques pointures bienvenues: George Orwell, Jean Dubuffet, Albert Cossery ("le dernier des pharaons"), un glorieux voleur anarchiste (Alexandre Jacob), un taulard écrivain (Serge Livrozet), tous grands dévorateurs de livres et amateurs d’écriture. On est en bonne compagnie. Comme disait Aristote: mais que fait la polis" ! – 288 p , 20 Euros, en librairie le 2 mai
Frédéric Pagès, Le Canard Enchaîné, 24 avril 2013
Matières à penser
Comme le diraient les tontons flingueurs, c’est du brutal. Une fois encore, Alain Guyard frappe fort. Après "La Zonzon", chronique de la plongée d’un prof de philo nommé Lazare Vilain dans l’univers carcéral, il reprend du service pour les mauvais garçons en découpant son propos, à grands coups de tranchoir, en trente-trois leçons elles-mêmes scindées en cours théoriques et en travaux pratiques. Les premiers ne risquent guère d’être doctement énoncés en quelque prestigieuse chaire : l’école de Guyard est celle de la rue, du mitard, des parloirs où l’imparfait du subjonctif se cogne la tête contre les murs. Sa langue est celle d’Audiard ; son accent celui d’Arletty, avec ses vérités assénées comme des claques et ses surnoms collés d’une bourrade jubilatoire. Voici Socrate élevé au rang de philosophe de comptoir, Machiavel dépeint en étrangleur aux yeux d’ange, Schopenhauer en bouddha boudeur au bordel, Foucault en skinhead d’ultragauche. Évidemment, sauf dans le cas de ce dernier, ça décoiffe… Pour autant, dictionnaire d’argot dans une main et clef à molette dans l’autre, l’auteur ne se contente pas de déboulonner les statues : il en fracasse le socle, pour révéler ce qui se cache sous le bronze et l’airain. C’est souvent bien vu, parfois inattendu, régulièrement sujet à controverse. Cela peut choquer aussi. Ébranler des certitudes dévoreuses de pensée libre et d’envie de défricher. Et c’est en cela que ce bouquin, au-delà de ses aspects provocateurs et de ses travaux pratiques rigolards, voire déjantés, vient donner à penser, à s’inspirer et à rédiger dans un style percutant, à éviter tout de même dans la copie de philo du bac.
F.B., Paris Normandie, 8 mai 2013
Pour écouter l’entretien avec Laurent Dehossay dans Le Grand Mag, RTBF, 03/04/2013
Pour passer deux heures de radio avec Alain Guyard dans l’ émission de François Angelier, cette fois titrée : Laissez passer les voyous ! Et écouter les propos louangeurs de Raphaël Enthoven :“Je jette un œil sur ce livre, et je n’arrive plus à décrocher tellement c’est drôle, tellement c’est subtil, tellement c’est fin, tellement il a déguisé en voyouterie et en lexique de voyous une
connaissance très fine des différentes pensées.
Il y a des passages que je trouve hilarants, il y en a une infinité. J’en ai relevé deux, l’un sur Epicure avec le 2e exercice de travaux pratiques et l’autre extrêmement drôle sur Machiavel.”
Raphaël Enthoven (à partir du curseur 32) in Mauvais Genres, France Culture, 15 juin 2013.
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