Résumé :
Fort d’une nouvelle cagnotte d’instants élus, un sien trésor d’émotions intimes, vécus entre 2009 et 2011 parmi chats et livres, nourrissant les uns, se nourrissant des autres, les sauvant tous de la rue ou de la benne pour les héberger entre rayonnages et coussins, André Blanchard nous revient avec ce nouveau volume de carnets. On le retrouve écrivant au passé du méditatif ou au présent du corrosif, passant d’une notule griffue contre une faute de français, une facilité franglaise, d’un aperçu assassin sur les erreurs ou les bourdes d’un critique léger ou d’un mémorialiste flou, à l’analyse d’un passage de Proust (chez qui " c’est toujours ouvert, et allumé "), d’un vers de poète. Là, Blanchard se pose, laisse fondre, déguste : allant au bout d’une impression littéraire devenue intimité poétique, au cœur d’un sortilège d’écriture ; plus loin il s’insurge, prend parti, pousse la pointe, défendant Barrès ou Montherlant. On le suit au fil des jours, prosterné devant une caisse de vieux livres qu’il empilera, pour ensuite les " dépiler " les tamisant page à page pour nous en proposer les pépites, réagissant au jargon conceptuel de l’art contemporain, souffrant à la mort d’un chat (" enterrer un chat ne remue pas que de la terre "), vivant son quotidien d’" indécis endurci ", de " patraque " à qui la vie reste sur le cœur mais à qui la littérature est une cause et un asile de nuit, en tout cas l’objet d’une ascèse confiante : À la demande générale, mais sans céder à une quelconque et fumeuse " communauté de fidèles ". " Au diable " s’écrie-t-il, voici les carnets d’André Blanchard, ultime glane d’impressions et présent d’un regard : " La littérature, c’est ce qui nous persuade de l’inutilité qu’il y ait autre chose après la mort. " Dont acte.
On en parle :
Journal inactuel
Et puis, quelquefois, il faut bien l’avouer, le roman nous tombe des mains, l’éternel roman plus riche en rebondissements qu’une table de ping-pong qui fait notre ordinaire de lecteur, où se croisent des personnages bien dessinés qui nous ressemblent mais dont les destins, contrairement au nôtre, sont tracés d’une main sûre, nous n’en pouvons plus. Ce roman qui domine outrageusement le champ littéraire, qui repousse la poésie dans ses confins, qui prend toute la place, qui voudrait en somme nous faire accroire que tout écrivain ne peut être qu’un romancier, ne serait-il pas temps de contester son hégémonie ? Les tyrannies nous inspirent d’habitude moins de complaisance. La littérature sait pourtant se passer de la fiction. Elle n’est pas seulement l’histoire qui nous endort ou le cauchemar qui nous réveille. Lichtenberg, Scutenaire, Perros, Calaferte, Cioran et la plupart des moralistes fameux, ces auteurs sont avant tout des noteurs et conçoivent le fragment comme une forme achevée.Chez certains de ceux-là, sans doute, il existe une nostalgie, avouée ou non, du livre dans lequel s’articulerait leur pensée, organisée enfin, fluide et liée, alors que leur mode d’écriture tout en à-coups, observations, fulgurances, se révèle idéal pour enregistrer plutôt les vacillements de l’être, ses allergies, ses illuminations. L’écrivain se ramasse dans la note, c’est instinctif, animal, qu’il s’agisse d’un repli peureux ou d’une prise d’élan pour le bond carnassier. Toute prose suivie, au contraire, encourt le risque de se déliter dans l’anecdote, il n’est pas de narration sans artifices, sans stratégie. L’écrivain noteur manque peut être d’endurance, mais il ne compose pas. C’est un ennemi de l’illusion. Souvent atrabilaire, sarcastique, toujours réactif, il ne s’en laisse pas conter et ne cherche pas non plus à s’attirer la sympathie – " toutes les contagions s’y cachent " disait Gide. Je citais des morts – pourquoi aussi les écrivains sont-ils si souvent morts ? André Blanchard est bien vivant, à défaut d’être tout à fait bon vivant, et il publie aujourd hui le huitième volume de ses carnets A la demande générale titre délicieusement ironique, donné "par antiphrase", puisqu’un tel livre selon I’auteur, ne saurait atteindre que le cercle habituel de ses lecteurs, peu nombreux mais fidèles et même carrément crampons, on les comprend, c’est aussi pourquoi on déplorerait qu’il en soit ainsi. Répétons-le, il n y a pas que le roman dans la vie. Quelquefois, l’écrivain doit enterrer son chat et il ferait beau voir que celui-ci, nommons le Grélin ou Nougat, n’ait pas droit à son tombeau de mots tant il est vrai que "si la terre est basse les chats, jamais, quand il s’agit de les câliner". Le chat a toujours été I’animal totem des écrivains fuyants, farouches et solitaires comme l’est précisément André Blanchard qui cache lui aussi une bonne poignée de griffes dans sa manche "Naguère, quelqu’un qui ne comprenait rien à un livre se le tenait pour dit, et se taisait. Désormais, celui à qui cela arrive ne craint pas de s’en vanter. Ce serait hors de question, voire injurieux, de supposer que le livre n’y est pour rien. Ainsi s’avance fierot, le futé dernier modèle. " Ou l’on voit que, s’il laisse son chat lacérer ses pulls, André Blanchard ne lui donne pas sa langue – or ce n est pas pour la garder non plus dans sa poche.Le ton est souvent acerbe en ces années, 2009-2011, cette mauvaise humeur entretenue peut-être par le" difficile sevrage de la cigarette, sachant que "l’encre et le tabac, c’est tout un" Houellebecq, Le Clezio, l’autofiction et la vieille Europe en feront les frais. Parfois nous vient le soupçon qu’il pourrait y avoir un brin de pose dans cette attitude ombrageuse et ce mépris du petit monde littéraire, du succès des chiffres de vente, un peu trop souvent affirmé pour être tout a fait souverain. Mais tout écrivain ne campe t-il pas aussi un personnage ? C’est en somme prendre position, déterminer avec précision son angle d’attaque le plus aigu et s’y tenir. Puis un écrivain encore a des comptes à régler, avec lui-même d’abord, avec son propre passé. Dans ce journal inactuel, rythmé seulement par les saisons, Andre Blanchard mécréant par devant I’Eternel, venge encore à 60 ans l’enfant de choeur qu’il fût et qui usa sur les bancs de I’église tant d’aubes de son enfance qui n’avaient pas vocation à être ces longues robes liturgiques "En ces temps où donner ses coordonnées tient du réflexe, et de ce réflexe que les marchands savent exelter le prestige, c’est d’être injoignable. Dieu ne démentirait pas. L’auteur est aussi un lecteur. II trouve encore du grain à moudre chez Barres, Mauriac ou Léautaud, distingue les "heures à la Flaubert", ou l’écrivain triomphe de la difficulté par le travail, des "heures à la Stendhal", ou les lignes coulent de source, puis il en revient obstinément à Proust, "toujours ouvert, et allumé ". Enfin, s’il doute que Dieu puisse lui éviter l’angoisse de la mort et Freud celle d’être soi Andre Blanchard ne se raccroche sans doute pas en vain a cet espoir "Que nos phrases aient plus de sante que nous "
Eric Chevillard, Le Monde des livres, 30 mai 2013
Le Franc conteur
De Franche Comté, le chroniqueur solitaire nous adresse un septième et délectable volume de pensées, lectures et persiflages.
Les années passent, Blanchard demeure. Rien ne semble perturber l’ordre de sa vie ni déranger son discret protocole. Il vit toujours à Vesoul (Haute- Saône), y fait le sphinx dans une salle d’exposition et provision de livres défraîchis dans les brocantes. Au fil de ses Carnets, qu’il tient comme on tient l’alcool, sans jamais perdre le contrôle de soi, on ne trouvera guère d’escapades, aucune mondanité, pas davantage de sorties au cinéma ou au théâtre, et on croisera plus de chats que d’êtres humains – c’est à peine si le son de la radio (Inter et Culture) parvient jusqu’à lui. Le plus étonnant est que, de cette existence où le désabusement le dispute à la routine, et dont il enregistre l’imperceptible oscillation, ce misanthrope réussisse, depuis un quart de siècle, à tirer des livres si revigorants.
Pourtant, dans ce volume qui couvre les années 2009-2011, la santé n’est pas fameuse. Le piteux état de ses branches oblige ce grand fumeur à se priver de tabac, qui était jusqu’alors son carburant d’écrivain – or, pour lui, il n’y a pas de feu sans fumée. La faculté soupçonne une allergie, qu’il combat avec des antihistaminiques, mais nul ne sait à quoi. Manquerait plus que ce fût aux poils de chat. Il aurait bien aimé en reprendre un après la mort, en juin 2011, de son siamois Nougat, qu’il enterre avec, en guise de linceul, l’un de ses pulls, et à qui il élève, en cinq pages magnifiques, un tombeau à rendre Léautaud jaloux.
Privé de chat et de cigarettes, un chouia négligé par ses lecteurs (à en croire les relevés de son éditeur), et plus éloigné que jamais de sa jeunesse (il fête ses 60 ans), "l’indécis endurci" place donc ces Carnets-là sous le signe de l’abstinence. Heureusement, elle ne concerne pas le lecteur, qui est toujours aussi boulimique et critique. Ce Vésulien que les modes parisiennes n’ont jamais effleuré (la voilà, sa vraie allergie) persiste à admirer Barrès et Montherlant, à relire Balzac, Proust et Mauriac, à préférer Calaferte à Debord, à railler Michon et Houellebecq.
Quant a l’écrivain, prince de la virgule et maître dans l’art de glisser des mots d’argot (mello, blaze, fissa) au milieu de subordonnées d’un raffinement extrême, il excelle, aujourd’hui comme hier, à tromper l’ennui provincial, à être moraliste sans faire de morale, à tourner en dérision le prétentieux anglais des plasticiensperformeurs et à servir, en oblat, la langue française : "Une plume se doit d’être sur ses gardes, et la monter. Le style est celui qui connaît le mot de passe." Le verbe "vigiler", dont usait souvent la chanteuse Barbara, va très bien à André Blanchard. C’est même rassurant de savoir qu’il vigile à Vesoul et dilette au Dilettante.
Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 2 mai-8 mai 2013
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