Résumé :
1952, souvenez-vous, c’était un temps faussement raisonnable, celui de la IV e merdoyante, de l’affaire Dominici et de l’emprunt Pinay, de la guerre d’Indochine et de Jeux interdits. Parut alors, cette année-là et chez Calmann-Lévy, un de nos plus vibrants vade-mecum de la mal-pensance et bréviaire de la désertion manifeste : Allons z’enfants…, roman de l’anar repéré Yves Gibeau, roman que les Français (que l’on sait parfois frondeurs et sans grand goût pour l’alignement) plébiscitèrent à la hauteur de trois cent mille exemplaires vendus. Un temps vraiment déraisonnable ! Pour ledit Gibeau, l’avenir pourtant s’annonçait clair, le ciel bleu et la route bien large : fils de militaire, papa le place, tout fier et derechef, aux Andelys, chez les enfants de troupe, fière caserne plantée à l’ombre du château Gaillard. La fête dure dix ans, aux Andelys succède Tulle. 1939, l’homme passe aux travaux pratiques avec une Seconde Guerre mondiale qui s’achève pour lui en camp de prisonniers. De tout ce carnaval sanglant, Yves Gibeau conservera un mépris teigneux et une haine viscérale de la chose militaire et de l’humanité galonnée, vision pacifiste qui passe tout entière dans cet Allons z’enfants… où le jeune Chalumot, fils de l’adjudant Chalumot, allume la chambrée et perturbe l’appel. La geste libertaire d’un gamin rétif à l’ordre et hostile à toute forme de militarisation des consciences. Un classique de l’insoumission à relire d’urgence, ouvert par une vrillante préface de Michel Dalloni, dont ce fut le premier achat conscient et risqué en librairie, et qui, d’un trait, dit la chose : " La liberté est un combat contre la connerie dont le prix est celui de la vie. " Et j’le prouve.
On en parle :
Yves Gibeau, enfant perdu dans la pénombre d’un grenier inconnu
Robert Louis, Actualitté, 14-03-2017
Un soldat d’aplomb
D’abord paru en 1952, ce récit enfin réédité reste fort, montrant le refus d’un enfant de se plier à la discipline militaire. R evoici en librairie un fameux best-seller de 1952. Au moment de sa parution chez Calmann-Lévy, Allons z’enfants… avait fait couler pas mal d’encre, ébloui les uns et agacé les autres. Il faut dire que son talentueux auteur, Yves Gibeau (1916-1994), n’était pas du genre à mâcher ses mots. Ce dernier raconte ici l’expérience terrible d’un garçon de 13 ans qui lui ressemble sans doute comme un frère. Fort et bien bâti, Simon Chalumot est le fils unique d’un adjudant retraité aux longues moustaches et à l’esprit obtus. Le garçon est intelligent, il a été reçu premier au certificat d’études. Il n’a pas demandé à étudier le "métier des armes", son père a décidé pour lui. Il lui faut donc un matin quitter Reims et se diriger sans joie vers l’école militaire préparatoire des Andelys, en Normandie, afin d’y être enfant de troupe. Sur place, Simon est affecté à la première section de l’adjudant Pommier, surnommé Moustache. Le matricule 2154 plonge d’emblée dans le grand bain. Dès son arri-vée, il a la chance de balayer les escaliers des deux étages. Préférant aller jouer au "volley balle", il décide de bâcler son premier examen. Son franc-parler n’est pas de mise en pareil endroit. Il doit au plus vite se plier aux règles de l’institution. Constamment en désaccord avec la discipline, Simon a également bien du mal avec son rôle de chef de table au réfectoire. Il a pourtant été prévenu. A l’école militaire, les révolutionnaires seront matés, il n’y a nulle place pour les mauvais esprits. "Préparez-vous à en voir de toutes les couleurs. On ne vous épargnera pas, croyez-moi vous plierez, Chalumot, où j’y perdrai mes galons", l’avertit le capitaine des Abeilles. Cette vie d’esclave, Simon la rejette chaque jour un peu plus, tant elle lui inspire "une répulsion maladive, proche de la haine" … Fils d’un adjudant de carrière, ayant lui-même fréquenté les lieux qu’il décrit, Yves Gibeau savait parfaitement de quoi il parlait. La force de son récit reste aujourd’hui intacte. Même s’il peint un monde lointain et utilise fréquemment un argot d’époque, l’auteur de La Ligne droite (1956) et des Dingues (Editions des Equateurs, 2004) s’avère toujours aussi pertinent dans sa description d’un jeune héros obligé de passer de l’en-d’une manière salement brutale. Son vibrant portrait d’un insoumis fait toujours autant frémir.
Alexandre Fillon, LIRE, 28 avril 2016
Petits soldats d’infortune
Militaristes s’abstenir ! Tous ceux, en revanche, qui ont en horreur la chose militaire devraient se précipiter sur le livre d’Yves Gibeau, bien qu’il ne soit pas une nouveauté mais la réédition d’un chef-d’œuvre du genre. Ce roman, plus vrai que nature, tant il colle à la biographie de son auteur, du moins dans ses jeunes années, a été d’abord publié en.. 1952. Il eut alors un succès phénoménal, la diffusion dépassant les trois cent mille exemplaires.
En 1952 pourtant, la France d’Antoine Pinay et des " Indépendants et paysans " ne paraissait guère capable d’aimer ce livre dérangeant, anar, irrespectueux, d’une violence inouïe, quasi " célinienne ", revanche d’un enfant privé d’enfance par la volonté d’un père, lui-même militaire de carrière, ancien de 14-18. En 1952, souvenons-nous, la " der des der " était encore très présente dans les familles, dans les mémoires, dans les paysages et les conversations. Les anciens combattants racontaient des " histoires d’anciens combattants " dont la plupart avaient trait à la première des deux guerres mondiales. Celle que la France avait " gagnée ", contrairement à la Seconde dont les vainqueurs venaient de loin.
Le jeune Simon Chalumot, le héros de ce gros bouquin, a treize ans dans les années 1935 quand il devient " enfant de troupe ". L’expression, aujourd’hui tombée en désuétude, signifiait que les jeunes fils de soldats ou de gradés, morts ou vivants, pouvaient bénéficier d’une éducation à la dure, mais gratuite, dans des casernes à eux réservées, à la condition qu’au terme de leurs études en alternance – enseignements civils et militaires mêlés – ils s’engagent pour dix ans de carrière militaire. Dix ans pour la défense de la patrie, cela ne se refuse pas quand on est le fils d’un ancien de 14-18, pétri de traditions, militariste jusqu’au bout des épaulettes et obtus comme il ne devrait pas être permis de l’être. L’adjudant Chalumot n’a qu’une idée en tête : que son fils suive son exemple et devienne officier, un jour, ensuite héros si possible pour toujours. Et c’est à coups de pied dans le derrière et à grandes gifles qu’il s’efforce de faire adhérer le fiston à ses projets.
Mais rien n’y fait : plus les années passent, plus le fils du héros de 14 est en butte à la bêtise et à la violence sadique de sous-officiers qui le battent, lui confisquent ses livres, l’humilient publiquement devant les autres enfants de la même troupe. Il sera maltraité jusqu’à sa majorité, des Andelys à Tulle, avant de retrouver une liberté civile peu avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas de chance, lui qui rêvait de devenir réalisateur de cinéma devient figurant d’une guerre qu’il exècre et, sans dévoiler la fin du roman, on peut dire qu’il ne gagnera rien au contact de la dure réalité des combats auxquels participera aussi son père détesté. Ils se retrouveront donc, mais trop tard.
Enfance saccagée, vie volée, mépris des gradés et de certains camarades de régiment, on ne saurait dire que le récit d’Yves Gibeau, écrit au scalpel et très vivant, soit marqué par la gaieté. Et encore moins par la conviction que " servir la France " et honorer son drapeau soit le comble de la bonne vie. C’est un chemin de misère qu’emprunta l’enfant de troupe, entre les brimades, les injustices, les trahisons, les amours impossibles et les principes absurdes d’une organisation au rituel dérisoire entièrement tournée vers le bourrage d’idées idiotes dans des crânes préalablement vidés de tout sens critique. C’est du moins ainsi que le vécurent le jeune Simon et son modèle, l’auteur, Yves Gibeau.
Sa vie durant, jusqu’à sa mort en 1994, Gibeau vécut ce paradoxe d’une haine de la guerre et d’une familiarité solidaire avec ses acteurs. L’antimilitariste écrivain, né dans la Marne, s’installa près du Chemin des Dames qu’il arpentait constamment en hommage à ceux qui y furent victimes de ce que l’on appellera leur " devoir ". Aux yeux de Gibeau, ils avaient été plutôt victimes des illusions répandues par les puissants qui décidaient du sort des humains sans leur demander leur avis. L’antimilitariste poussera le paradoxe jusqu’à se faire enterrer dans le cimetière du village détruit de Craonne, dans l’Aisne, haut lieu de la souffrance des " poilus ". Yves Gibeau l’insoumis était un homme de grand cœur qui mourut environné de livres et de fantômes de pauvres soldats tombés au front et dont il voulait se souvenir comme ses frères en malheur humain. Enfant de troupe privé d’enfance mais pas de mémoire fraternelle.
Bruno Frappat, LA CROIX, 21 avril 2016
Ce classique du roman de bidasse, paru en 1952, est aujourd’hui réédité. Récit d’apprentissage d’un fils d’adjudant embrigadé contre son gré dans une école militaire, ce plaidoyer anar contre la sottise, à l’argot un peu désuet, garde toute sa force.
Baptiste Liger, L’EXPRESS STYLES, 20 avril 2016
Soixante-quatre ans après sa parution " Allons z’Enfants ", le célèbre roman d’Yves Gibeau connaît une nouvelle jeunesse. Le Dilettante vient de le rééditer à 2999 exemplaires, chiffre fétiche de cette bonne maison. Sur la photo de la couverture, l’enfant de troupe, visiblement aux anges, n’est évidemment pas l’enfant de troupe Gibeau qui, devenu adulte et romancier, a réglé ses comptes avec l’armée dans un poignant récit autobiographique devenu d’emblée, en 1952, un best-seller. Tombé dans l’oubli, il connut une étonnante résurrection quand le cinéaste Yves Boisset, fasciné par ce livre au temps de sa jeunesse, réalisa son rêve : le porter à l’écran. Le 11 mars 1981, à l’initiative de notre journal, le film fut présenté en " première nationale " à Charleville-Mézières. Ce fut là une… patriotique manière de rendre hommage aux attaches ardennaises d’Yves Gibeau. Comme il aimait parler du village d’Avaux dont il fréquenta l’école communale et où il décrocha le premier prix du canton au certificat d’études primaires ! Dans la préface " d’Allons z’Enfants " par Le Dilletante providentiellement réédité, Michel Dalloni témoigne du choc que fut pour lui la découverte, par hasard, en 1974 de ce roman alors qu’il avait quatorze ans. De ce jour, Yves Gibeau ne le quitta plus. " Je n’ai jamais cherché à le rencontrer pour de vrai, écrit-il. Ça ne sert à rien de le regretter ". Croyez-moi, Michel Dalloni, moi qui eus la chance d’être l’ami de cet écrivain fabuleux, vous vous devez de le regretter ! Yauque, nem !
Yanny Hureaux, L’ARDENNAIS, 25 mai 2016
Denis Billamboz, CRITIQUESLIBRES.COM, 14 avril 2016
PRESSE DE L’ÉPOQUE :
"Vous connaîtrez de suprêmes extases, de voluptueux frissons, voire des spasmes de joie en lisant Allons z’enfants…
René Fallet, Le Canard enchaîné
Allons z’enfants… vaut d’abord comme un document humain, probablement irréfutable, et, nous en témoignons, bouleversant. Quand on ferme le livre, il faut quelque temps pour se remettre de cette lecture.
Jacques Brenner, Paris-Normandie
Livre magnifique, libre et généreux, éclatant de jeunesse et de révolte. Il faut absolument lire ce roman, l’un des plus forts et des plus humains qui soient.
Jacques Peuchmaurd, Arts
C’est là un très grand livre, dont la force corrosive s’égale à celle des Gaîtés de l’Escadron. Je prédis à Gibeau une très belle carrière d’écrivain non conformiste.
Jean Mauduit, Témoignage chrétien
Voilà un roman : des êtres qui vont, qui viennent, qui pleurent, qui rient, qui parlent, qui gueulent, dont les gestes et les paroles sont tout un avec leurs sentiments. Aucun trucage, aucun remplissage… Le livre est un réquisitoire d’une violence inouïe, un réquisitoire contre les hypocrisies qui ruinent le bonheur des hommes. Et il rayonne d’une santé exaltante.
Maurice Faure, L’Observateur
Yves Gibeau n’est pas de ceux qui rusent, abordent indirectement les difficultés et se dérobent aux responsabilités qu’ils ont commencé par choisir. Mais que nous soyons d’accord avec lui ou que ses idées nous choquent, nous ne restons pas insensibles à son talent.
Jean Blanzat, Le Figaro littéraire
Voici un beau livre. Enfin ! Son mérite est si simple que pour en dire du bien il faudrait éviter toute littérature. On devrait dire : il est beau lisez-le.
Robert Coiplet, Le Monde