Résumé :
Quoi de plus doux pour apprendre quelqu’un / que de connaître son organe intime. Et le poète William Cliff de prendre le large, en skipper subtil, sur la grande mer des corps virils, d’aller, promeneur solitaire, narine aux vents et mains de sourcier, taillant la route des roideurs et des spasmes, cap sur les visages donnés et les élans offerts au détour de soudaines rencontres. S’engouffrant à perte de corps dans l’obscurité de certaines salles au fumet fétide, aux fauteuils défoncés, mais au voisinage délicieux, accostant aux bars de la nuit pour quelques contacts fugaces, à Philadelphie ou Viña del Mar, New York ou Bruxelles, William Cliff, beau héros abreuvé d’abjection au fil de poèmes néoélisabéthains, ciselés et d’une délicatesse glorieuse, narre le membre frémissant de l’hôte d’un soir, les cuisses du louveteau, l’orteil de l’amant, les douces muqueuses : car dans la vie on aime que nous happent / certaines choses un peu dégoûtantes / qui nous font sortir de l’ennui ordinaire. Une quête des corps amoureux qui délivre de ce cafard qui encrasse les jours et dont le soleil, dieu de flamme qui sourit aux heureux et frappe ceux qu’il damne, ne nous délivre pas. Plus de vingt-cinq ans après son tombeau de Conrad Detrez, William Cliff fait retour au Dilettante pour un nouveau cahier de poèmes qui tente de prendre aux rets du mètre classique les fuyantes extases de l’amour masculin et de garder encore l’enfance d’un corps promis à la mort : Salut à toi, beauté, que la rue m’a fait voir !
On en parle :
William Cliff reçoit Le Goncourt de la poésie
L’académie Goncourt attribuait ce mardi trois prix littéraires : le Goncourt du premier roman à Kamel Daoud pour Meursault, contreenquête (Actes Sud) ; le Goncourt de la nouvelle à Patrice Franceschi pour Première personne du singulier (Points) ; et le Goncourt de la poésie/Robert Sabatier à William Cliff pour l’ensemble de son oeuvre. Robert Sabatier avait fait une large place aux écrivains belges dans sa monumentale Histoire de la poésie française. Ceux qui furent ses compagnons de table et de lecture chez Drouant ne l’oublient pas puisqu’ils avaient couronné Guy Goffette en 2010 et Jean- Claude Pirotte en 2012. William Cliff va son chemin de poète et d’écrivain depuis plus de quarante ans et son entrée fracassante en littérature avec Homo sum. Sous ce titre affirmatif, Raymond Queneau, qui avait fait paraître l’ouvrage chez Gallimard en 1973 avec une préface de Claude Roy, avait perçu une voix personnelle. Il ne s’était pas trompé. Les vers généralement rimés et rythmés, le plus souvent de quatorze syllabes, se sont multipliés depuis et chaque occasion est bonne pour William Cliff de raconter en poèmes de quoi sa vie est faite – ou défaite, selon les cas. Il publie aujourd’hui même Amour perdu (1), une nouvelle collection de rencontres puisées dans les souvenirs et travaillées comme on forge une pièce de métal jusqu’à ce qu’elle devienne inaltérable. Nous y reviendrons dans les pages livres, ce samedi. Sous le signe de l’Autobiographie, titre d’un de ses recueils, il cherche, écrit-il, à"cracher le vivre amer / qui me brûle sur les lèvres"et le plus souvent y parvient. Abandonnant parfois le poème pour le récit, le"roman"selon certains éditeurs qui, probablement, n’y croient pas davantage que nous, il glane en voyageant, ou plutôt en vagabondant. Il est aussi profondément enraciné dans les boues de sa région natale – Gembloux, en 1940 – que dragueur d’autres bas-fonds vaseux pour lesquels il éprouve une fascination mêlée d’écoeurement. C’est souvent là, dans des lieux que ne recommande aucun guide de voyage, qu’il rencontre des garçons et frotte sa peau à d’autres peaux, sujet inépuisable et omniprésent, générateur de plaisirs et de moments d’ennui à parts inégalement réparties. Mais un sujet creusé à longueur d’oeuvre, plus d’une vingtaine de livres, ne suffit pas à occuper une place dans la littérature, à moins de ne s’intéresser qu’à cela. Il y faut une énergie, une sensibilité, une langue pliée à son propre usage. Et, de ce point de vue, William Cliff s’autorise des audaces masquées sous la forme fixe, coupant par exemple un mot, vivifiant dès lors un vocabulaire prosaïque auquel il n’a jamais renoncé. C’est encore la langue qui l’occupe quand il s’attelle à des traductions : Gabriel Ferrater, qui l’a beaucoup inspiré, ou rien moins que Shakespeare et Dante. La prose dans laquelle il publie depuis un quart de siècle n’est d’ailleurs pas très loin du poème. Il n’y a qu’un pas entre Le passager, roman, et Journal d’un innocent, poèmes, ou entre U.S.A. 1976, roman, et America, poèmes. L’ensemble forme un archipel dont le propriétaire, qui en est aussi le concepteur, affirme volontiers ses origines, son orientation et ses pratiques sexuelles, son goût pour une littérature qui bouscule à travers ses thèmes autant que par sa forme.
Pierre MAURY, LE SOIR, 6 mai 2015
Le gay voyage
William Cliff se souvient de ses amours de hasard, hélas enfuies.
Pour William Cliff, et ce depuis ses débuts en littérature encouragés par Queneau, la poésie doit dire l’intime. Quitte à heurter quelques tartuffes. L’âge venant – Cliff est né à Gembloux, Belgique, en 1940, et nombre de ses textes font référence à son pays -, il est tentant d’égrener les souvenirs, surtout s’ils sont plutôt agréables. Dans ce recueil, le poète a choisi de célébrer les corps des garçons qu’il a croisés, rencontrés, aimés ou non, au fil de ses voyages. Certains poèmes sont des" tricks ", comme disait Jean-Luc Hennig, des" coups ", racontés de façon parfois explicite, dans des ambiances glauques, où la pénombre permettait toutes les audaces. Et où sévissait encore en ce temps-là la ségrégation entre les Blancs et les Noirs – sauf sexuelle. Tantôt ils sont magnifiés de façon lyrique, précieuse, qui n’est pas sans rappeler le maniérisme élisabéthain. Cliff joue de tous les registres, de toutes les réminiscences, Shakespeare, Baudelaire, Breughel, torturant le vers à qui il impose de rimer à tout prix, même d’acrobaties, d’inversions et d’enjambements, voire de vers de mirliton. L’hendécasyllabe ne se dompte pas aisément.
Par-delà les voyages, les évocations de corps, les émotions d’alors, la tonalité générale est ici à la mélancolie, au regret des occasions manquées. Tempus fugit, comme chacun sait, et surtout les poètes. Amour perdu s’achève, et ce n’est pas hasard mais effet de composition, sur" Solitude ", ballade aux accents tout verlainiens : " Alors, tant pis, mon âme, prends la route/de ce désert béant que tu redoutes,/bois ce calice avec tranquillité… "
Jean-Claude Perrier, Avant critique LIVRES HEBDO, 25 avril 2015
Les médias en parlent…
Frédéric Chef, LE SALON LITTÉRAIRE, 8 mai 2015
LIBREL.BE
Pour voir William Cliff avec Roland Jaccard au" Marché de la Poésie 2016 ", cliquez ICI