Résumé :
Bienvenue dans les dernières années d’un Journal qui ne dit pas son nom. Un an après sa disparition, nous publions les derniers textes d’André Blanchard, écrits de 2012 à 2014.
On en parle :
C’était Blanchard
Pendant l’hiver 2012, André Blanchard note dans son carnet: "Rester en vie, c’est faire du zèle." L’auteur de "Messe basse" n’a pas eu le temps d’en faire beaucoup. Car, deux ans plus tard,à la veille de l’été, il apprend qu’il est atteint d’un cancer inopérable. "Que ce soit celui du poumon rameute en moi le souvenir des écrivains qui l’ont eu." Tout Blanchard est dans cette phrase. Même à l’instant de sa condamnation, c’est toujours vers la littérature qu’il se tourne. Il n’avait vécu que pour elle, il est mort sous son aile. C’était le 29 septembre 2014. Ilavait 63 ans, une abondante chevelure frisée et une bibliothèque plus débordante encore. Il a été enterré à Vesoul, où il avait longtemps été "l’ange gardien" (en CDD) de la galerie d’art municipale, et où il courait brocantes et vide-greniers. C’est là, en e et, que le papivore s’approvisionnait en vieux livres de poche et en nouveautés soldées, dont il rendait compte avec une exigence et un mordant qui étaient sa marque. Dans le neuvième et ultime volume de ses Carnets, il revisite ses chers Flaubert, Léautaud, Cabanis, Barrès, trouve chez Proust trop de "phrases en surpoids", tient Richard Millet pour "le plus grand écrivain français vivant" et digère mal "laVérité sur l’a aire Harry Quebert", de Joël Dicker:"On dirait une mauvaise traduction et qu’il y a plusieurs auteurs tellement ça manque de cohérence." Entre deux lectures, il nourrit les chats errants, vitupère la décentralisation, qui aurait favorisé selon lui la corruption locale, se demande quand il sera "une grande personne", et s’abandonne au spleen, dont il juge que le mot est trop beau pour la chose. Lorsqu’un visiteur de la galerie lui demande où l’on peut trouver ses livres, il répond: "Au magasin de farces et attrapes." C’était en e et un des rares auteurs à détester se vendre. Il refusait les interviews et n’allait à Paris que pour saluer Pierre Desproges au Père-Lachaise et son éditeur Dominique Gaultier au Dilettante. Aujourd’hui, ce moraliste contrebandier entre sur l’étagère des écrivains que de nouveaux Blanchard vont désormais relire. Le reste sans changement.
Jérôme Garcin, L’OBS, 29 oct/4 nov 2015
André Blanchard : Le reste sans changement
Tel qu’en lui-même l’éternité le change, écrivait Mallarmé dans son Testament d’Edgar Poe. Est-ce que mourir change un écrivain ou l’éternise ? La question nous tombe du ciel après la lecture du dernier volume d’André Blanchard au Dilettante. Oui, il faut se faire à l’idée : pour l’état civil, André Blanchard est mort le 29 septembre 2014. Le Reste sans changement – titre plein d’ironie caressante – donne le bon-à-tirer d’une œuvre exceptionnelle, que nous sommes une poignée d’happy few à savourer. Tout au long de ces pages, comme à son habitude, le diariste distribue baffes et lauriers aux acteurs de notre comédie sociale. L’Education nationale en prend pour son grade, en tête l’inénarrable Meirieu – instituteur de cette école où l’on fait dans l’animation culturelle au lieu d’apprendre à écrire et à lire correctement. Oui, l’école est inégalitaire. Ce n’est pas très drôle, mais c’est comme ça, semble penser Blanchard, qui a consacré le meilleur de son existence à lire les ouvrages que le programme officiel a oubliés depuis longtemps. Proust et son Temps retrouvé reviennent comme un leitmotiv en cette fin de vie où l’auteur constate : Quand on lit Proust, on est soustrait du monde, on est absent, ravi de l’être ; rien ne nous semble plus irréfutable que son credo, énoncé un jour où, mal luné sans doute, il fit court : " La vraie vie c’est la littérature. "
Faut-il écrire ou vivre ? se demande Blanchard constatant, soixantaine entamée, que Rester en vie c’est faire du zèle. On sent le lecteur curieux flairant ces valeurs sûres qui vous ringardisent (Flaubert, Barrès, Mauriac, Cabanis…), désirant au fond de lui-même que ses recueils soient son testament. Deux mille lecteurs flairent avec lui les bons livres parmi la benne déversée des six cents nouveaux romans de la rentrée : Le meilleur est au-dessous, écrit-il goguenard. Blanchard n’est jamais du côté des aboyeurs, regrettant les pompes de l’Eglise – Seule l’esthétique élève – tandis que le pape François lave les pieds des prisonniers. On lit et partage la plupart de approbations : Richard Millet, le plus grand écrivain français vivant, sur lequel cette nunuche et calamiteuse Annie Ernaux tire à boulets de papier quand le premier vitupère l’époque avec ardeur. Les grandes têtes molles (l’expression est d’Isidore Ducasse, alias Maldoror) prennent les coups qu’elles méritent : Alain Minc, BHL, Jean-Paul Enthoven, Marguerite Duras, Alain Souchon, Philippe Claudel et jusqu’à ce pauvre Charles Juliet, taxé de phraseur et paraphraseur. C’est à qui plastronnera le plus, se gargarisant d’approximations en tout genre, suggère le discret Blanchard, ennemi des séances de signatures et autres kermesses du gros public. Fabrice Lucchini lisant L’Invitation au voyage : C’est vite insupportable. […] Bref, il surjoue, il outre. Cela revient à illustrer ce qui, par essence, se passe de l’être, voire l’interdit.
Ne pas surjouer, voilà le secret des écrivains du second rayon, diaristes discrets, gueulards enjoués et autres bougons de toutes époques, que Blanchard révère par-dessus tout (Calaferte, Bloy, Léautaud…). Blanchard a fait œuvre. La mort ne lui sera sans doute d’aucun secours pour tenir sa place. Quelques lecteurs, mais peu importe. Les injustices, erreurs de jugements vont bon train depuis la nuit des temps. D’Ormesson en Pléiade ! C’est Bernard Frank, qui en eût avalé de travers son pétrus, note Blanchard avant de refermer son dernier carnet.
L’écrivain note ici en passant : Etre à ce qu’on fait. Lecteur des chemins buissonniers, auteur minutieux et patient à l’heure des autoroutes de l’information, Blanchard aura fait, tout comme Bernard Frank, justement, et quelques dilettantes – ceux qui se fient à leur seul jugement – une œuvre en parlant de celles des autres. Un doute le tenaille, tout comme les pinces du crabe qui finit par l’emporter : Est-ce que parler de littérature, ça en est ? – Joker ! Mettons que oui !
Frédéric Chef, LE SALON LITTÉRAIRE, novembre 2015
ILS EN ONT PARLÉ…
Christine Le Garrec, PARALLÈLE(S), novembre 2015 – Un amoureux fou de la littérature (…) un regard aiguisé sur notre société
Christian Authier, L’OPINION INDÉPENDANTE DU SUD OUEST, 6 novembre 2015 – Le Reste sans changement ressuscite la présence de cet esprit libre
Jérôme Garcin, FRANCE INTER Le Masque et la plume – dimanche 1er novembre 2015 ! (curseur: 49.31)